“La mutation”, écrit Francesca Alfano Miglietti dans la préface de Mutant Identities. Dalla piega alla piaga : esseri delle contaminazioni contemporanee, Costa & Nolan, 1997, “est la dimension anarchique qui ne reconnaît pas la linéarité de l’évolution des espèces. Il s’agit d’une auto-mutation. Le choix d’une identité sans sexe, sans race, sans religion”. Cet essai vertigineux, considéré comme un manifeste de l’identité nomade, identifie une nouvelle constellation transdisciplinaire de recherches artistiques unies par une idée du corps en métamorphose, territoire d’échange entre naturel et artificiel, masculin et féminin, mécanique et biologique. “Dans ce scénario, poursuit l’auteur, le corps semble être devenu l’un des sites les plus importants de la mutation en cours, un corps muté au point de perdre la mémoire d’un archétype, à la fois scientifique et anthropologico-culturel, un corps comme champ de bataille idéal entre nature et culture, un corps hybride, une chair mutante, des organes interfacés, avec des micro-puces, des écrans, des technologies matérielles.... Un corps qui présente de plus en plus d’analogies avec le corps-social dans lequel il se développe et mute [...] L’art de l’univers mutationnel se déploie en dehors des contraintes de la formation culturelle, en dehors du nivellement sériel des industries culturelles, en dehors des règles de la communication artistique officielle. C’est un art qui utilise déjà le sampling, le déplacement, le mixage, la réutilisation. C’est un art qui agit sur la distribution nomade d’informations flottant dans des plans sémiotiques déterritorialisés, c’est un art qui passe des messages aux dispositifs”. Ce qui, au tournant des années 1990, semblait émerger de plusieurs côtés comme une nouvelle ubiquité linguistique sur le point d’exploser, était un art actif à la manière d’un virus, un code qui pouvait être inoculé dans un système (c’est-à-dire un corps culturel) capable de modifier et d’altérer son fonctionnement. Guy Debord, William Burroughs, David Cronenberg, James G. Ballard, Vito Acconci, Gina Pane, Orlan, Gilbert & George, Matthew Barney sont quelques-uns des auteurs névralgiques de ce courant de recherche qui, en dépit d’une esthétique parfois dystopique, nourrissait une foi secrète dans la valeur positive de la connexion en tant qu’agent propulseur d’une révolution anthropologique sur le point de subvertir tous les domaines de la vie. Une grande partie de ce que ces auteurs avaient imaginé sous une forme hallucinante et saisissante (réseaux neuronaux, greffes sous-cutanées de marqueurs biométriques, organes maintenus artificiellement en vie hors du corps, décodage génétique) est aujourd’hui devenue réalité grâce à un processus de contamination de plus en plus capillaire et invisible entre la technologie, l’être humain et la nature.
Si la relation entre ces trois sphères est au centre des recherches de plusieurs artistes contemporains, rares sont ceux qui ont repris l’héritage (plus que jamais d’actualité) de ces réflexions dans toute leur complexité mythopoétique visionnaire. Si l’on pense, par exemple, à des artistes comme Julia Phillips, June Crespo ou, en Italie, Giulia Cenci, leurs sculptures font référence à une présence post-humaine hybride et fantasmatique à travers le prélèvement d’éléments industriels et l’utilisation de matériaux évocateurs d’une sensualité biologique, mais leur production ne se configure pas comme un grand récit fondateur capable de proposer l’hypothèse d’un futur potentiellement inscrit dans un corps réel. En revanche, d’autres auteurs, comme Ed Atkins ou Jon Rafman, créateurs hyperboliques de mondes en puissance comparables en extension à ceux des auteurs précités, déplacent leurs réflexions vers une corporéité virtuelle innervée d’existentialisme, qui fait presque totalement abstraction de la réalité tangible du corps, sublimé dans la dimension dématérialisée du réseau. En revanche, la poétique d’Agnes Questionmark (Rome, 1995), jeune artiste travaillant dans les domaines de la performance, de la sculpture, de la vidéo et de l’installation, dont le parcours sur la scène mondiale est exceptionnel à plusieurs niveaux, notamment par rapport à la scène nationale, puise directement dans cette sphère. En effet, à seulement 30 ans, Agnes peut déjà se targuer d’une reconnaissance normalement refusée à ses contemporains italiens, son parcours créatif étant jalonné de mentions à des prix prestigieux et d’expositions dans des lieux faisant autorité à l’étranger, tels que le Centre d’art contemporain de Genève, la König Galerie de Berlin, la 14e Biennale de Gwangju et, plus récemment, la 60e Biennale de Gwangju. Plus récemment, la 60e Biennale d’art de Venise, organisée par Adriano Pedrosa, où son œuvre Cyber-Teratology Operation (2024) a été sélectionnée pour financer sa réalisation parmi les projets de plus de 150 jeunes artistes émergents de moins de 30 ans originaires de 37 pays qui ont posé leur candidature pour la deuxième édition de la Biennale College Arte (2023/24). L’œuvre, incluse hors concours dans l’exposition Stranieri Ovunque - Foreigners Everywhere, était emblématique de la capacité de l’artiste à construire des mondes hybrides et intégrés à partir des manipulations technologiques d’un corps trans(trans-espèce, transgenre, transhumain) qui, par sa transformation autarcique, remet en question la normativité de la bipolitique patriarcale et du contrôle médico-scientifique.
Au cœur de ce travail, comme de l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, se trouve l’expérimentation scientifique et médicale centrée sur des pratiques telles que la chirurgie robotique et la transcorporéité, qui remodèlent la compréhension du terme “humain” dans une clé futuriste qui oblige le spectateur à réfléchir à sa condition actuelle. La pratique d’Agnes Questionmark a déjà atteint un tel niveau de maturité et de cohérence, tant sur le plan de la forme que du contenu, qu’elle est sans équivalent dans le contexte national, où ces questions sont encore peu abordées et jamais avec une approche aussi informée et articulée, même à long terme. De la ligne de recherche identifiée au début, l’artiste reprend les suggestions, les inquiétudes et la capacité de penser grand, sans se soucier de la “bonne taille” et sans essayer de s’en tenir à cette esthétique raréfiée et conceptuelle qui caractérise généralement la production artistique axée sur le post-humain. En tant que protagoniste de ses installations sculpturales et vidéo, il a commencé à élaborer sa propre fabula spéculative à partir de son identité fluide et métamorphique en tant que sujet transgenre. Son travail puise dans le même domaine esthétique polymorphe que Matthew Barney, artiste auquel elle a souvent été comparée, mais concentre sa recherche, comme les performers les plus extrêmes de la période glorieuse du Body Art, en premier lieu Orlan, sur une manipulation réelle et profonde du corps qui, dans son cas, est le point de départ et non un point d’orgue spectaculaire de la performance.
La nécessité de se considérer scientifiquement et médicalement afin de pouvoir faire des choix autonomes dans son processus individuel de transition, même au prix de la limite de la légalité, et d’échapper aux contraintes du système de santé italien, l’a amenée à traverser une pluralité de territoires normalement soustraits au système d’information officiel, en testant leurs implications d’abord sur sa peau et ensuite dans son travail. C’est précisément pour cette raison que l’une des limites à la circulation de son travail est la difficulté de trouver un contexte d’exposition approprié (compte tenu également de la nature ambitieuse de ses projets) et un public disposé à réfléchir, au-delà des récits et des esthétiques abusifs, à des thèmes dérangeants tels que ceux qu’elle aborde. L’exposition personnelle Nexaris Suite organisée par Angel Moya Garcia à la Tenuta dello Scompiglio di Vorno (Capannori, Lucca), un incubateur précieux et visionnaire de recherche artistique contemporaine dirigé par la directrice et artiste Cecilia Bertoni dans les agréables collines de la périphérie de Lucca, où se trouvent la ferme du même nom et l’association culturelle, est donc une occasion incontournable d’entrer en contact avec sa poétique. En entrant dans le hall souterrain consacré aux expositions temporaires, le visiteur se trouve catapulté dans une salle de chirurgie automatisée ambiguë, recréée par trois écrans vidéo de la taille d’une pièce, dans laquelle une opération mystérieuse est pratiquée par deux figures pseudo-médicales (dont l’une est Agnès elle-même) sur une entité biologique vaguement anthropomorphique. Les trois écrans renvoient, avec un léger décalage chronologique qui accroît l’éloignement, à trois perspectives différentes de l’opération, dans lesquelles se mêlent des suggestions des techniques de diagnostic les plus avancées, telles que l’imagerie par résonance magnétique et la radiographie mobile, et une esthétique cinématographique impeccable qui fait un clin d’œil au genre de la science-fiction. Il s’agit d’Opera Medica (2024), une installation vidéo hypnotique qui met en jeu toutes les composantes cruciales de la pratique de l’artiste, telles que la fascination pour les espèces extraterrestres et l’analyse scientifique, l’investigation des limites du corps humain et les apories inhérentes à sa traduction en code informatique, le thème de la surveillance sanitaire perçue comme une violence, et une sorte de culte de la tentacularité élevé au rang d’approche théorique et d’instrument de critique à l’encontre de l’anthropocène capitaliste.
Si la convergence des images ne génère pas la vision omnisciente et unitaire que l’on attendrait, mais l’évaporation de la conscience en une multiplicité de flux sensibles, les interrogations et les réflexions suscitées par cette fragmentation sont multiples et déstabilisantes. Tout d’abord, le fait que seule la technologie (en l’occurrence la technologie médicale) nous permette de nous voir et de nous comprendre de l’intérieur semble attester, en poussant la perte de l’aura dont parlait Walter Benjamin à propos de l’art jusqu’à ses conséquences extrêmes, d’un manque d’authenticité du corps dans sa reproduction technologique, aspect qui fait ressortir le caractère normatif et vulnérable de la notion d’humanité. Celui imaginé par Agnes Questionmark est un corps multiple, creuset de la fusion de la chair et de la technologie, manifestation anarchique et déviante d’une nouvelle phénoménologie esthétique capable de redessiner l’idée de subjectivité en symbiose avec celle de mutation et de réinventer les structures politiques sur la base de nouveaux rapports technologiques de bio-pouvoir. Dans les images qui entourent le spectateur dans l’installation, convergent le regard d’un observateur hypothétique à l’intérieur du laboratoire chirurgical, les images détaillées des organes et des tissus internes du patient (de belles pièces d’art vidéo abstraites et suffocantes) et la vision floue de ce même sujet qui, dans l’état de semi-conscience induit par l’anesthésie, regarde d’en bas son curateur-carnet.
Soudain, l’ordre des choses est renversé et d’une entaille dans le corps allongé sur la table d’opération, un tentacule rose inattendu s’échappe avec un liquide non spécifié, un événement qui fait des ravages dans la salle d’opération et incite, par une entrée subliminale inconnue, le chirurgien et son assistante à s’étrangler l’un l’autre. Le thème du regard et la sémantique de l’être tentaculaire reviennent dans Nexaris (2024), une imposante sculpture en résine acrylique, silicone et fer que l’on retrouve dans la deuxième partie de l’exposition, dont elle constitue le complément matériel. L’œuvre rappelle une étrange idole suspendue, d’où émergent des tentacules tendres et visqueux de couleur chair, qui ressemblent à un cocon à peu près humain. La forme générale de l’œuvre s’inspire non seulement des impressions biologiques susmentionnées, mais aussi de l’appareil d’imagerie multimodale du même nom produit par Siemens et utilisé dans le domaine médical pour surveiller l’ensemble de l’évolution clinique des patients tout en minimisant l’invasivité.
Si le rapport de domination entre le patient et le médecin se fonde sur la primauté du regard que ce dernier acquiert grâce aux prothèses technologiques, que se passe-t-il lorsque l’objet de l’intervention est précisément, comme c’est le cas ici, les yeux? Et encore, si le moi et l’appareil peuvent se confondre dans une relation symbiotique, comment nos conceptions de la vie et de l’identité s’en trouvent-elles transformées à la lumière des dernières découvertes scientifiques ? La réponse que l’on peut lire entre les lignes est de tenter d’élaborer de nouveaux systèmes de coexistence multi-espèces pour permettre à la complexité d’exister, dans le sillage de réflexions nourries par la lecture de Michel Foucault, Donna Haraway, Karen Barad, Rosi Braidotti, Helen Hester et Paul B. Preciado. Si l’artiste semble adhérer aux théories de l’intersectionnalisme de Haraway, qui voit dans la contamination entre technologie, genres et nature la seule mutation capable de permettre notre survie future, dans son imaginaire artistique cette fusion s’incarne dans l’hybridation entre la pieuvre et l’être humain.
Cette greffe dans sa recherche apparaît dès la performance de longue durée (84 heures réparties sur 23 jours consécutifs : huit heures par jour) intitulée Transgenesis et réalisée en 2021, coïncidant avec le début de son traitement hormonal, à l’intérieur d’un centre sportif désaffecté de Londres. Là, se mettant en scène comme une créature hybride à l’intérieur d’une sculpture monumentale ressemblant à une pieuvre suspendue au-dessus d’une piscine vide, l’artiste a exposé sa transformation imperceptible (mais réelle) en cours, la mettant en scène comme une transformation artistique et métaphorique grandiose. De plus, pour des raisons biographiques et émotionnelles, l’eau est pour elle l’habitat amniotique idéal d’une existence aux limites fluidifiées, où la science passe sans transition à l’art et vice-versa. Sera-t-il possible de construire une nouvelle représentation de l’être humain à partir de ces prémisses ? C’est la question à laquelle tendent toutes les magnifiques créatures qu’elle fait vivre : il n’est pas encore donné de le savoir, mais il vaut la peine de parcourir l’univers visuel dans lequel elle est recherchée pour jouir de sa somptueuse esthétique teintée d’un tendre cynisme. L’aspect qui fait de l’œuvre d’Agnès une singularité dans le panorama des artistes italiens, en particulier de ses contemporains, est sa capacité à concevoir à grande échelle avec un souci maniaque du détail, en réalisant des projets de grande envergure difficiles à réaliser et à placer sans contaminer leurs instances par une valeur commerciale. Ce qui le rend si attachant, cependant, c’est son utilisation du corps avec la même volonté viscérale que le Body Art de le traiter comme un objet artistique et un véhicule de sens, mais avec un registre esthétique augmenté et luxueusement artificiel à partir duquel il est intriguant d’être enchanté.
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