Un drapeau blanc flotte mollement au milieu des vignes, hissé sur un mât gardé d’en haut, depuis la tour du Castello dei Vescovi di Luni (Château des évêques de Luni), qui regarde le village de Castelnuovo Magra et surveille ceux qui voltigent dans la plaine et sur les premières pousses des Colline del Sole (Collines ensoleillées), verdies par la pluie insistante d’un automne humide, chaud, pluvieux et ennuyeux. Le drapeau est de Luca Bertolo : depuis au moins dix ans, une série de drapeaux peints s’ajoute à sa production déjà abondante, et quelques-uns des plus récents sont maintenant arrivés dans la plaine de la Lunigiana, avec ceux de Flavio Favelli, pour tapisser les espaces de la Colombiera, une ferme qui veut lancer, pour la deuxième année consécutive, un “atelier de recherche”, comme le veut la définition officielle, sur l’art contemporain. La poésie de la terre est le titre de l’exposition, et dès que l’on regarde le vignoble de la Colombiera, on saisit immédiatement le sens de cette poésie qui, cette année, semble donner une voix, une âme, voire un caractère à la terre.
Un drapeau blanc flotte dans le champ. De loin, on dirait un simple morceau de tissu, un chiffon, un reste de blanc planté au milieu des rangs. De près, on aperçoit des restes de vert et de rouge effilochés sur les bords. Vert fougère, blanc éclatant, rouge écarlate, les couleurs du drapeau italien fixées par décret du président du conseil des ministres. Un lambeau du drapeau italien est devenu un drapeau blanc, vulgairement compris comme le drapeau de ceux qui se rendent, plus exactement le drapeau de ceux qui ne veulent plus faire la guerre et sont prêts à entamer des négociations, à mettre fin aux hostilités par un cessez-le-feu, par une solution qui rassemble tout le monde, ou par une reddition. L’Italie s’est-elle rendue ? Le pays s’est-il rendu ? Ne veut-elle plus se battre ? Veut-elle commencer à négocier ? Et avec qui ?
En discutant avec Luca Bertolo de son travail sur les drapeaux, ma mémoire remonte au printemps du coronavirus. Nous nous souvenons tous, et bien, de ce patriotisme maladroit de Covid-19 : ce patriotisme d’hypermarché, ce patriotisme de prêt-à-porter, ce patriotisme de volemosebbene qui s’exprimait par des drapeaux accrochés aux fenêtres des immeubles, par les rendez-vous de 12 heures, 15 heures, 18 heures pour chanter l’hymne de Mameli depuis la terrasse, par des affiches pleines de licornes et d’arcs-en-ciel que l’on ne voit pas.de licornes et d’arcs-en-ciel répétant toutes ces platitudes, “ça va aller”, “on va s’en sortir”, “on va s’en sortir mieux”, il semblait que le stagiaire de la rédaction chargé de répondre au courrier du cœur avait gagné en vingt-quatre heures sur le terrain la promotion de directeur du sentiment pandémique national. Patriotisme au sens labranchien du terme, c’est-à-dire nourri de l’hyperconviction que le ralliement au tricolore, que l’élévation des Italiens vers une unité retrouvée nous auraient aidés à mieux surmonter le moment de l’ambivalence. Patriotisme naïf, de semaine, maladroit, qui a rythmé les premiers jours de l’enfermement , toujours le même, pour ceux qui n’avaient pas d’urgence à la maison : le réveil tardif, les pêchers en fleurs dans le jardin qui se fichent du lockdown et qui continuent leur vie habituelle, comment se fera-t-il que cet employé de Codogno ait attrapé un virus chinois, la conférence de presse de six heures en espérant que le chef de la protection civile communique une bonne nouvelle, le studio de télévision du quiz du soir sans public, les rues silencieuses, le parent, l’ami, le collègue qui deviennent des numéros, la famille, la famille, l’ami, le collègue qui deviennent des numéros, la famille, l’ami, le collègue qui deviennent des numéros, la famille, l’ami, le collègue qui deviennent des numéros.l’ami le collègue qui deviennent des numéros, l’échelle logarithmique, l’unité de soins intensifs, la zone rouge, l’état d’urgence, les rassemblements, FFP2, épidémie, comorbidité, positivité, cluster, gouttelette, repérage, espacement, auto-certification, repérage, phase 1, phase 2, quand pourrons-nous sortir à nouveau ? Le lendemain, même histoire, mêmes problèmes, mêmes drapeaux agités depuis le balcon.
C’est alors, sans doute un mois après la fermeture des zones rouges, que Vanity Fair reproduit en couverture le drapeau de Francesco Vezzoli se moquant de Fontana et découpant une toile peinte en tricolore, versant de l’huile bon marché sur l’engrenage de l’émotion collective. L’année suivante, Bertolo et Favelli terminent la réalisation de leur drapeau, un travail à quatre mains, au sens le plus littéral de l’expression : chacun d’entre eux s’occupe de la moitié du drapeau, puis l’apporte à une couturière qui assemble les morceaux et le résultat est celui que l’on peut voir dans la cave de Colombiera, au milieu des tonneaux d’où s’écoule le Vermentino lunense, le nectar le plus prisé de ces terres. C’est-à-dire un drapeau vivant et fané, léger et lourd, tendu et griffé, instinctif et contrôlé, gestuel et rationnel, une œuvre qui se contredit elle-même - encore une fois, littéralement, car il suffit de se retourner et de regarder au dos pour voir une œuvre complètement différente où même la relation des proportions entre les fonds du drapeau tricolore est perdue.
Dans le texte de l’exposition, le commissaire Antonio Grulli se demande - pour nous - ce que sont les drapeaux : peut-être une relique du passé, ou le symbole des “États-nations dans lesquels tout le monde semble aujourd’hui se sentir à l’étroit”, ou même “le collecteur de visions idéologiques qui ont maintenant échoué”. Il cite ensuite Franco Fortini, “dont Bertolo était très proche et à qui il rendait visite dans sa maison d’Ameglia”. À la question de savoir ce qu’est un drapeau, Fortini aurait répondu qu’il s’agit de la bannière sous laquelle se dressent les camarades dont le poète veut s’isoler, préférant la dissidence à l’orthodoxie apologétique(Une tache de sang intellectuel). Ou, plus simplement, il aurait chanté sa version de l’hymne de Mameli (“Frères d’Italie chacun pour soi : / un peu de silence, / un peu de péché, / un peu de conscience, / un peu de repentir, / un peu de Fiat pour le dimanche, / et Dieu pour tous”). L’ironie amère de Fortini est un sentiment qui n’est pas très éloigné de celui qui dégouline du drapeau de Bertolo et Favelli, sans aller jusqu’à l’iconoclasme, car ce serait peut-être trop simple, trop banal. On y lit plutôt un paradoxe, ou quelque chose comme ça.
Les œuvres des espaces intérieurs de la Colombiera sont introduites par un trompel’œil de Bertolo, un paysage recouvert d’une nappe de brouillard que l’on semble voir à travers une fenêtre, avec des gouttes véristes qui sillonnent la vitre, une œuvre intime, délicate, fine : au-delà des gouttes apparaît, floue, la silhouette d’un drapeau légèrement secoué par une rafale de vent. Embué, sale, délavé, comme tous les drapeaux que Bertolo peint depuis dix ans, y compris celui qui se trouve sur le mur à côté, dont les couleurs sont à peine perceptibles au-dessus de la toile. Un tricolore faible, pâle, terne. On voit la trame de la toile. Dans un texte publié il y a quelques années, le conservateur Craig Burnett écrivait que Bertolo, avec ses drapeaux, avançait peut-être un discours politique “suggérant que le nationalisme est quelque chose de fragile et de contingent, compromis par l’illusion”. À première vue, Bertolo semble nous montrer les drapeaux pour ce qu’ils sont et ce qu’ils ont toujours été : des morceaux de tissu attachés à un mât qui ont été utilisés à partir d’une certaine période de l’histoire pour rassembler des groupes d’êtres humains désireux de se reconnaître dans ce tissu aux formes et aux couleurs régulières. Et comme le drapeau est un objet commun à presque toutes les cultures, un objet dont l’histoire remonte à des milliers d’années, il est difficile de penser qu’il puisse faire l’objet d’une réflexion qui n’admette pas de divergences. Mais le fait le plus curieux est que, bien que les drapeaux de Bertolo nous apparaissent décolorés, déchirés, comme s’ils avaient traversé des siècles d’histoire pour arriver jusqu’à nous et faire preuve d’une sorte d’inauthenticité convulsive, il s’agit en réalité d’objets nouveaux, très nouveaux, récents, et en ce qui nous concerne le dernier drapeau de la série aurait pu être peint avant-hier. L’illusion est donc l’essence même du travail de Bertolo. C’est pourquoi elle dialogue parfaitement avec les œuvres de Favelli : d’un côté une sorte de ready-made avec deux drapeaux anciens élevés d’office au rang d’œuvres d’art, de l’autre côté, au comble de la parodie, un drapeau italien réalisé à partir de découpages de pochettes de Mickey Mouse. Rappelons qu’en 2020, Favelli avait créé pour le Pecci di Prato un drapeau d’un État inexistant qui reprenait les couleurs typiques d’un gâteau émilien. Il s’appelait Zuppa Inglese Bandiera. Plus d’ironie, plus d’ambiguïté.
Que sont les drapeaux ? Antonio Grulli pose cette question - pour nous - dans le texte de l’exposition. De simples objets, des souvenirs, des blessures, des fragments d’un passé qui, de temps en temps, revient à la surface dans le présent, les éléments les plus reconnaissables d’un monde qui, en réalité, n’a jamais disparu, des fétiches auxquels nos liturgies ne peuvent renoncer, des souvenirs, des lambeaux, des tissus banals. Icônes de notre histoire, de notre obstination, de notre foi, de nos excursions, de notre bêtise, de notre férocité, de notre liberté, de notre chair, de nos émotions. Actuels et inactuels. Morts et vivants. Et même, pour beaucoup d’entre eux, peut-être vivants aujourd’hui, aussi colorés, aussi brillants, aussi lucides qu’ils l’ont jamais été. Tout et plus encore. Les œuvres de Bertolo et Favelli conservent cette ambiguïté qui sied aux véritables œuvres d’art (les œuvres d’art, devraient fonctionner, comme la poésie) et n’apportent donc pas de réponses mais servent, au contraire, à générer d’autres questions, nouvelles, à exhorter d’autres recherches, à activer d’autres pensées, nouvelles. C’est le sens de l’atelier qui devait s’ouvrir à la Colombiera. Quant à la question posée par le commissaire, en observant les œuvres de Bertolo et Favelli, on aimerait répondre avec Giovanni Raboni : “ce ne sont pas des drapeaux/ces drapeaux”. La seule réponse possible, la seule qui ne mette pas en pièces cette poésie, de la terre et d’ailleurs, dont sont imprégnés les drapeaux exposés à la Colombiera.
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