Tout en rejetant en toute bonne foi le rôle féminin conventionnel de l’époque, Rosa Bonheur s’est heurtée à ce que Betty Friedan appelle “le syndrome de la blouse en dentelle” : cette version inoffensive de la protestation féminine qui pousse encore aujourd’hui les femmes qui réussissent, comme les psychiatres ou les professeurs, à s’habiller de manière ultra-féminine ou à faire des gâteaux à tout bout de champ. Bien qu’elle ait très tôt porté les cheveux courts et des vêtements masculins, à l’instar de George Sand, dont le romantisme rustique a exercé une forte influence sur son imagination artistique, elle a affirmé avec conviction que cela n’était dû qu’à des exigences professionnelles spécifiques. Démentant avec indignation la rumeur selon laquelle elle aurait scandalisé Paris dans sa jeunesse en se promenant habillée en garçon, elle remet fièrement à son biographe un daguerréotype la montrant à seize ans, parfaitement habillée selon la mode féminine en vogue, à l’exception de ses cheveux très courts, qu’elle justifie comme un expédient pratique adopté après la mort de sa mère : "Qui aurait pris soin de mes boucles ?
En ce qui concerne les vêtements masculins, elle rejette d’emblée l’idée de son interlocutrice selon laquelle le pantalon est un symbole de claire émancipation : “Je condamne solennellement les femmes qui renoncent aux vêtements normaux dans le désir de se faire passer pour des hommes”, dit-elle, rejetant ainsi implicitement George Sand comme prototype.
“Si j’avais pensé que les pantalons convenaient à mon sexe, j’aurais supprimé les jupes, mais je ne l’ai pas fait, et je n’ai jamais conseillé à mes sœurs de porter des vêtements d’homme dans la vie de tous les jours. Donc, si vous me voyez habillée ainsi, ce n’est pas pour me faire remarquer, comme beaucoup d’autres femmes essaient de le faire, mais seulement pour faciliter mon travail. N’oubliez pas que pendant un certain temps, j’ai passé des journées entières dans des abattoirs. Il faut vraiment aimer son art pour vivre au milieu des mares de sang [...] Les chevaux me fascinent aussi et quel meilleur endroit pour étudier ces animaux que le champ de foire, au milieu des excréments ? Je n’ai pas pu m’empêcher de constater que les vêtements féminins étaient une véritable plaie. C’est pourquoi j’ai décidé de demander au préfet de police l’autorisation d’utiliser des vêtements d’homme. Mais ce que je porte n’est rien d’autre que ma tenue de travail. Les remarques des imbéciles ne m’ont jamais dérangé. Même Nathalie [sa compagne] en rit. Me voir habillé en homme ne la dérange pas du tout, mais si cela vous fait réfléchir, je n’aurais aucune difficulté à porter une jupe, car j’ai tout un assortiment de vêtements féminins dans mon armoire”.
En même temps, elle avoue : “Le pantalon a été mon salut [...] Je me suis souvent félicitée d’avoir eu le courage de rompre avec une tradition qui m’aurait empêchée d’exercer certains métiers, car je devais traîner mes jupes partout”. Néanmoins, la célèbre artiste se sent encore obligée de justifier son aveu sincère par une “féminité” mal comprise : “Malgré mes changements de vêtements, il n’y a pas de fille d’Eve qui apprécie plus que moi la frivolité ; mon caractère brusque et insociable n’a jamais empêché mon cœur de rester tout à fait féminin”.
Il est assez pathétique qu’une artiste de renom, infatigable dans l’étude minutieuse de l’anatomie animale, cherchant avec ténacité ses sujets, bœufs ou chevaux, dans les endroits les plus désagréables, auteur prolifique d’œuvres très populaires au cours d’une longue carrière, dotée d’un style décidé, assuré et indéniablement masculin, lauréate du premier prix du Salon de Paris, de la Légion d’honneur, de l’Ordre d’Isabelle de la Reine, de l’Ordre du Mérite, de l’Ordre du Mérite, de l’Ordre du Mérite, de l’Ordre du Mérite, etc.honneur, de l’Ordre d’Isabelle la Catholique et de l’Ordre de Léopold, ainsi qu’amie de la Reine Victoria, a dû se sentir pour on ne sait quelle raison obligée dans sa vieillesse de justifier et d’expliquer ses manières masculines tout en attaquant ses collègues plus modestes dans des pantalons pour faire taire sa culpabilité. Malgré les encouragements de son père, l’anticonformisme et la gratification des succès mondiaux, sa conscience lui reprochait toujours de ne pas être “féminine”, parce qu’elle aussi était façonnée par des normes sociales inconsciemment intériorisées et réfractaires à un examen rationnel de la réalité.
Aujourd’hui encore, les difficultés imposées à un artiste par de telles exigences inconscientes continuent d’alourdir une tâche déjà ardue. La célèbre sculptrice contemporaine Louise Nevelson combine un dévouement total “anti-féminin” à son travail avec des faux cils “féminins” et admet ouvertement qu’elle a pris un mari à l’âge de dix-sept ans, alors qu’elle était certaine de ne pas pouvoir abandonner son travail, simplement parce que “tout me suggérait que je devais me marier”. Même pour ces deux artistes d’exception - qu’on aime ou non La Foire aux équidés, on ne peut qu’admirer les réalisations de Rosa Bonheur - la mystique de la féminité, avec ses ambiguïtés intériorisées de narcissisme et de culpabilité, affaiblit et détruit par un travail subtil cette pleine estime de soi, cette certitude absolue, cette sécurité morale et esthétique, nécessaires en art pour les œuvres les plus grandes et les plus novatrices.
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Linda Nochlin, Why Were There No Great Women Artists , Castelvecchi, Rome, 2014 [première publication dans la langue originale : Art News, 1971], pp. 46-47.
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